On lit avec son vécu, paraît-il. Cela explique sans doute pourquoi j’ai rarement été en tel désaccord avec l’avis de l’éditeur sur une quatrième de couverture.
Le Supplice de l’Eau, un livre politique ? Mon cul, ouais… Peut-être si on s’arrête à une lecture au premier degré, peut-être si on succombe aux artifices lancés ça et là entre deux longs monologues sur
Socrate et
Platon, peut-être si on n’a jamais approché ne serait-ce qu’une seconde ce qu’a traversé Ismaël, le narrateur de cette histoire complètement décousue.
Roman difficile à résumer sans tomber dans l’interprétation toute subjective, Le Supplice de l’Eau pourrait être présenté comme le récit d’un père seul qui raconte au jour le jour comment il vit le deuil de sa fille de onze ans, retrouvée sauvagement assassinée deux jours après sa disparition. Qu’il kidnappe à son tour celui qu’il prend pour le meurtrier et le séquestre dans sa cave semble presque un détail secondaire, tant le propos porte ici avant tout sur le voyage intérieur d’un homme meurtri, désespéré, qui noie son chagrin et sa douleur dans l’alcool et les digressions interminables sur la philosophie antique. Les parallèles trop évidents que dresse Ismaël entre les tortures qu’il administre dans son sous-sol et les crimes perpétrés à Guantanamo ne font office que de diversion, car il ne faudrait pas se tromper de propos : le thème central de ce livre est bel et bien la culpabilité, celle qui pèse des tonnes et vous assomme.
Aussi sauvage et imprévisible que les crimes qu’il est censé dénoncer, le style de Percival Everett fait mouche dans le sens où il brouille constamment les pistes. Les pirouettes narratives servent ici de cache misère, une sorte de pudeur savamment orchestrée avec des chapitres écrits en phonétique, d’autres écrits à l’envers, des flash-backs déroutants, des passages d’une froideur sibérienne, tout cela pour mieux dissimuler une mise à nu d’une sincérité étouffante. Ce livre n’est finalement qu’un faux prétexte : la mise en scène du présent n’est qu’un pansement poreux sur les profondes plaies du passé.
Je n’en dis pas plus.
C’est un livre que je te recommande vivement si tu ne crains pas de te faire balader dans toutes les directions, si tu as le cœur bien accroché et si tu ne redoutes pas de te farcir des chapitres entiers sur
Wittgenstein,
Sophocle et
Aristote. Remarque : le bouquin annonce directement la couleur. La première phrase s’étire sur une page et demie !
Le lien
Percival Everett chez
Actes Sud