
Pour resituer le problème, rappelons qu’en Communauté française de Belgique, il n’existe pas de carte scolaire, contrairement à ce qui se passe en France. Chez nous, jusqu’à l’année dernière, les parents étaient libres d’inscrire leurs enfants dans l’établissement de leur choix. Idyllique ? Pas vraiment puisqu’en pratique s’est développé un enseignement à deux, trois voire quatre vitesses, avec d’un côté des établissements ultra huppés où se rassemblent les fils et filles de bonnes familles triés selon des critères peu clairs et, à l’autre extrême, les bahuts « ghettos » où s’entasse une population d’origine modeste, souvent issue de l’immigration. Cette situation est particulièrement alarmante à Bruxelles.
Pour y remédier, le décret « inscriptions » instaure depuis cette année le principe du « premier arrivé, premier inscrit » pour toutes les écoles publiques, sans exception. But revendiqué : favoriser la mixité culturelle et sociale, une des valeurs censées être véhiculées par l’école. Les inscriptions ne pouvant être prises en compte qu’à partir de ce 30 novembre, on assiste à des scènes surréalistes où des parents ont fait la file pendant plus de 48 heures devant la porte de l’école de leur choix, pour être certains que leurs enfants fréquenteront une « bonne » école.
Faut-il les plaindre, eux qui bravent le froid et la pluie pour assurer à leur progéniture une éducation cinq étoiles ? Permettez-moi d’en douter. Quelle image véhiculent-ils sinon celle de parents qui sont prêts à tout pour éviter à leurs enfants de devoir se mêler à la populace ? Ils vilipendent la ghettoïsation de l’enseignement, mais ils en sont les premiers responsables. Une école ne naît pas « ghetto », elle le devient. Elle se définit par la population qui la fréquente. Sans « mauvaise » école, pas de bonne. Alors forcément, les « ghettos », ils y sont favorables… pour les autres. Aujourd’hui, à Bruxelles, il existe des établissements scolaires réputés qui ne comptent qu’1 % d’élèves d’origine étrangère, dans des communes où les allochtones comptent pourtant pour 50 % de la population totale. Tous égaux devant l’enseignement ? Mon cul !
De quoi s’offusquent-ils, ces parents, sinon de perdre leurs privilèges de nantis ? En faisant la file nuit et jour devant les « bons » établissements, ils démontrent par l’absurde qu’à leurs yeux leur gosse veut mieux qu’un autre. Que chez eux, on ne mélange pas les torchons et les serviettes. Les pauvres, les arabes et les débiles, qu’ils restent entre eux. Les fils de bonne famille préfèrent se barricader dans ces écoles bourgeoises, bien à l’abri de la réalité extérieure, protégés par les œillères que leur ont greffés depuis la naissance ces parents obtus. Pour eux, une bonne éducation, c’est forcément la discipline, la rigueur, l’excellence, la compétition, le formatage et le bien penser. Et surtout, surtout, ce sont des classes où jamais on ne débattra du port du voile, où jamais un gamin n’arrivera avec un œil au beurre noir parce que son père lui a collé une droite, où jamais on ne fumera d’herbe, où on ne sait même pas ce que signifient les termes « grossesse précoce », où le ramadan tient des rites exotiques au même rang que le hara-kiri où les plats à base de viande de chien, où le chômage du père est toujours considéré comme une maladie honteuse.
Ces gens-là, ce sont les mêmes qui décrient le déclin de la Wallonie, mais préfèrent laisser leur fils rater trois fois Solvay (aux frais de la Communauté) plutôt que de le réorienter vers une formation en maçonnerie. Chez eux, l’enseignement technique et professionnel, c’est bon pour les pauvres, les arabes et les débiles. Chez eux, on sera avocat, médecin ou ingénieur et tant pis pour la pénurie de main d’œuvre qualifiée. Comment justifier lors de la prochaine réunion du Rotary Club que le petit dernier est devenu conducteur de grues sur les chantiers (il en manque des centaines) ? Vous imaginez la honte ?
Alors à ces gens-là, et aux journalistes qui relaient leurs complaintes, je dis merci. Merci d’avoir publié la liste des établissements devant lesquels on fait la file. Merci de les avoir pointés du doigt. Parce que désormais, j’ai la liste complète des écoles où, jamais, je n’inscrirai mes enfants.
Photo : http://www.lesoir.be/