Ma vie, mon talent, ma popularité grimpante, tout cela n’est pas toujours facile à gérer. Certes, on me reconnaît dans la rue, les chauffeurs de taxi ont plus souvent l’œil rivé sur le rétroviseur que sur la route et je collectionne les couvertures de magazines de mode à mon effigie. Je suis beau et riche, je suis né comme ça, ne m’en voulez pas. Et pourtant, pourtant, certains païens semblent encore tout ignorer de ma brillante personne. Je me retrouve donc à devoir souvent répéter inlassablement la même rengaine au moment de faire connaissance avec un indigène. Qui je suis, comment je suis arrivé aussi rapidement au sommet, oui c’est ma couleur naturelle, non je ne me suis pas fait refaire le nez, etc. Le blabla habituel quand on passe la moitié de sa vie en classe business entre Londres et Los Angeles.
Pour éviter de parler de la pluie et du beau temps avec le premier quidam ébloui par mon aura, la question des hobbies arrive forcément sur la table, question que je redoute comme une variante sexuellement transmissible de la peste bubonique. Evidemment, la réponse qui me sort de la bouche est toujours la même : la musique. Et en prononçant ce mot, déjà, je sais que les emmerdes vont commencer. Parce qu’il va falloir expliquer quel genre de musique, le dernier album que j’ai acheté, les salles de concert que je fréquente. C’est toujours la galère. Surtout quand mon interlocuteur est persuadé d’être lui-même un grand amateur de rock.
Morceaux choisis, au bar du Georges V :
- Ah oui, mais moi aussi, je vais à plein de concerts rock. Le dernier, c’était Indochine à Bercy. C’était super. Et toi ?
- Non, moi je n’y étais pas.
- Dommage !!! Mais c’était quoi, ton dernier concert ?
- Ecoute… heu… je ne sais plus très bien… heu… laisse-moi réfléchir.
- Calogero à Forest ? Muse au Sportpaleis ? Placebo au Cirque Royal ?
- Non, pas vraiment.
- C’est con. J’adoooooooooore Brian Molko. Mais allez, dis-moi…
- Je crois que c’était Neurosis.
- Oasis ? A Werchter ? Cool, j’y étais aussi.
- Non, c’était Neurosis. A Amsterdam.
- Ah… connais pas. Et… heu… c’est quel genre ?
- Disons que c’est un peu spécial et que ça n’a pas grand-chose à voir avec Oasis.
- C’est du R’n’B ?
- Non, pas vraiment. C’est un peu plus lourd. Et lent. Voilà, c’est ça : du rock lourd et lent.
- Ah ok, je vois. Donc tu écoutes plutôt du…
- Non, moi je n’y étais pas.
- Dommage !!! Mais c’était quoi, ton dernier concert ?
- Ecoute… heu… je ne sais plus très bien… heu… laisse-moi réfléchir.
- Calogero à Forest ? Muse au Sportpaleis ? Placebo au Cirque Royal ?
- Non, pas vraiment.
- C’est con. J’adoooooooooore Brian Molko. Mais allez, dis-moi…
- Je crois que c’était Neurosis.
- Oasis ? A Werchter ? Cool, j’y étais aussi.
- Non, c’était Neurosis. A Amsterdam.
- Ah… connais pas. Et… heu… c’est quel genre ?
- Disons que c’est un peu spécial et que ça n’a pas grand-chose à voir avec Oasis.
- C’est du R’n’B ?
- Non, pas vraiment. C’est un peu plus lourd. Et lent. Voilà, c’est ça : du rock lourd et lent.
- Ah ok, je vois. Donc tu écoutes plutôt du…
(A cet instant, je plisse déjà les yeux parce que je sais à l’avance quel est le mot qui va sortir. Comment résumer 30 années d’influences musicales, de Miles Davis à 31knots, de David Bowie à Black Sabbath, de Wire à Mark Lanegan, de Bashung à Suzanne Vega, des Melvins à Nick Cave, d’Iggy Pop à Curtis Mayfield, des Beastie Boys à Michel Magne, de REM à Sonic Youth, des Jesus Lizard à Amon Tobin ? Mais voilà, je le sais, ce mot hideux va sortir. Je l’entends déjà poindre…)
- Donc, tu écoutes plutôt du… hard rock !
Misérable, je suis obligé d’hocher la tête, sachant pertinemment bien que m’obstiner à contredire mon admirateur du jour n’est que pure perte de temps. Rendons-nous à l’évidence : au 21e siècle, la nuance n’existe toujours pas en ce bas monde.
Donc il paraît que j’écoute du hard rock. Bordel de Dieu. Pour moi, le hard rock canalise justement tout ce que je déteste : des franges bouclées taillées à la règle juste au-dessus des sourcils, des pantalons en cuir avec des lacets de gladiateur sur le côté, des solos de guitare interminables exécutés entre les cuissardes écartées, des batteurs perdus derrière une bonne vingtaine de fûts, des refrains pour stades, des guitares Jackson fluorescentes aux lignes escarpées, de chorégraphies dignes de Véronique et Davina, etc.. Les groupes que j’associe au hard rock, ce sont des bandes de tignasses innommables comme Def Leppard, Aerosmith, Megadeth et même Bon Jovi.
Pour moi, le hard rock, c’est quelque chose qui ressemble à ça :
Mais voilà, pour l’ignare de service, j’écoute du hard rock. Je n’arriverai jamais à me débarrasser de cette encombrante étiquette. Etiquette qui va s’avérer encore plus coriace après t’avoir parlé du dernier album de Cathedral, qui après 20 ans de carrière, vient de faire son entrée fracassante dans mon univers musical. The Guessing Game, double album massif et sinueux, qui s’en prend à tous les clichés du genre, m’a presque donné l’envie de me laisser repousser les tifs.
Cathedral y livre sa lecture très personnelle de 20 années de rock, traversant sans gilet de sauvetage les courants doom, stoner, rock prog, heavy metal et même acid folk. Une approche de la musique qui ne craint pas le kitsch, ni les gros refrains FM qui tachent, la guitare faisant office de locomotive tirant derrière elle une flopée de wagons pas toujours très bien assortis. The Guessing Game réussit ainsi une audacieuse synthèse de tout ce qui a été produit pour animer les bars à motards, les rassemblements de lécheurs de timbres et les grands messes à la gloire du Mal.
Mais je suppose que c’est plus facile de dire que Cathedral vient de nous livrer un grand album de hard rock. Bande d’incultes.
A écouter : le teaser officiel
A écouter : Ghost Galleon (le meilleur morceau de l’album, de loin)
Les liens :
2 commentaires:
Ah la fameuse guerre des genres. Ca me rappelle mes jeunes années, quand mes potes cherchaient à comprendre ce qui pouvait bien différencier la house de la techno. Ou ma mère qui récemment fit irruption en pleine écoute de Neurosis et m'asséna d'un "t'écoutes encore du thrash ?" (qu'elle orthographie bien sûr trash). Je peux admettre que tout le monde ne cherche pas à comprendre le sens profond de shoegaze, krautrock ou math rock mais je partage ton exaspération pour les étiquettes foireuses.
Je parie qu'à la question "qu'est-ce que tu écoutes?", l'énergumène en question répond "un peu de tout", tout fier d'avoir identifié la moitié de l'affiche de Werchter.
Une autre espèce de "connaisseurs" me tape sur le système: ce sont les quinquagénaires nostalgiques, disciples du prophète Ysaye, qui se prennent pour des lumières parce qu'ils écoutent en boucle Pink Floyd, Led Zep et Jimi Hendrix. D'après eux, "ces mecs ont tout fait", "tous les groupes actuels ne sont que des pâles copies", "de notre temps il y avait les radios pirates...". Et internet vieux con, tu ne crois pas que ça explose ta radio pirate ?
Je m'emporte... encore merci pour ton blog, je suis un fervent lecteur et auditeur.
Arnaud
bordel mais c'est Extreme que tu nous a sorti du placard. Y a pas a dire t'as une sacrée paire de couilles :-)
Aaah le hard rock, style musical fourre tout où mes potes basketteurs catégorisait tout ce qui n'était pas noir et qui disait YO.
Un brin réductuer effectivement. Merci, j'me sent moins seul :-)
Ceci dit, des fois, on se branle solidement les méninges questions catégories et genre musical. Alors peut être finalement...
T'imagines un noise mag avec sun o))) genre : hard rock
mdrrrrrr
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