mardi 23 décembre 2014

Zemmour chez Filigranes : les dessous d'un vrai débat (autour d'une quiche feta épinards)

Zemmour à Bruxelles nous apprend au moins une chose : à moins que le petit roquet français se soit reconverti dans les tartes meringuées, sa venue chez Filigranes confirme qu'on y vendrait encore des livres. Sale temps pour les sandwicheries up-scale. 

L'annonce de la venue d'Eric Zemmour à Bruxelles - pour une conférence au Cercle de Lorraine et une séance de dédicaces chez Filigranes - déchaîne les passions, sur fond de débat sur les limites de la liberté d'expression. Faut-il donner chez nous une tribune à Zemmour, celui qui chie tout haut ce que certains pètent tout bas ? Et voilà qu'on s'étripe entre défenseurs d'une liberté d'expression absolue, et celles et ceux qui estiment que celle-ci s'arrête là où commence l'incitation à la haine. Pour ma part, je m'interroge quand même : si les cons n'ont plus la liberté de débiter leurs conneries en public, qui va se charger de les contredire ? Loin de moi l'idée de cautionner le discours de l'olibrius en question, version maigrichonne de notre Laurent Louis national. Mais puisque ses âneries ne dépassent pas le niveau de la cour de récré, pourquoi dès lors ne pas organiser un vrai débat contradictoire, qui devrait logiquement le voir repartir la queue entre les jambes après s'être fait retourner comme une vulgaire crêpe ?

Pourtant, le débat autour du polémiste de comptoir français éclipse mal deux autres réalités.

Primo, ne faut-il pas y voir une tentative ridiculement désespérée du Cercle de Lorraine - ce club de débats pour "leaders d'opinion" en boutons de manchettes - de détourner l'attention de sa situation financière désastreuse ? Pertes récurrentes, dettes qui s'accumulent, fonds propres épuisés, liquidités à sec... On ne parle pas ici de la Grèce mais bien d'un prétendu haut lieu de réflexion censé rassembler le gotha du monde économique, politique et financier du pays. Je ricane. Même la SNCB se porte mieux.

Secundo, le passage de l'écrivain au rabais chez Filigranes semble indiquer que l'établissement serait encore une librairie. Avec en toile de fond cette question, hautement plus intéressante si on veut relever le niveau du débat : mais qui achète encore des livres chez Filigranes ? Au fil des années, la librairie bruxelloise est en effet devenue un gigantesque foutoir, dans lequel s'entasse à peu près tout et n'importe quoi. La dernière fois que j'y ai mis les pieds, j'ai dû laisser mon sac dans un casier à l'entrée - ce que même Mediamarkt n'exige plus. J'ai ensuite d'û me faufiler dans un flux continu de visiteurs qui marchent au pas, version littéraire du petit train de Plopsaland, où ma liberté de mouvement reste tributaire du bon vouloir des individus qui m'entourent. Si celui qui me précède s'arrête pour feuilleter un magazine de voile, je me vois contraint d'attendre qu'il ait fini sa lecture pour pouvoir avancer. Ou consulter une revue sur les montres suisses pour patienter.

Plus choquant encore, lors de ma dernière visite, j'étais coincé entre d'un côté, un couple au délicieux accent de l'axe Paris XVe - St Job - Châtelain qui s'émerveillait devant l'immense choix de tartes de chez Francine que propose l'établissement et, de l'autre, un pianiste au sourire bleuté. Ce dernier massacrait d'une main la Lettre à Elise en sirotant de l'autre un verre de vin bio, qui expliquait la teinte de ses incisives. Car oui, diversification oblige, Filigranes a préféré investir dans un espace restauration plutôt qu'adopter une logique de rangement des ouvrages digne de ce nom. Si auparavant, il était déjà pratiquement impossible de trouver l'objet désiré sans devoir faire appel aux conseils d'un vendeur désemparé, la démarche est devenue encore plus ardue depuis qu'il faut de surcroît franchir le parcours d'obstacles que constituent les tables où l'on déguste des quiches accompagnées d'un thé vert menthe fraîche. Au bout du compte, Filigranes et Fnac: même combat. On n'y trouve jamais le moindre bouquin, mais on se consolera chez l'un avec un cheese cake aux speculoos, chez l'autre en parcourant le rayon grille-pains, aspirateurs et pèse-personnes.

Bref, revenons à nos cochons: la venue de Zemmour à Bruxelles est finalement salvatrice puisqu'elle nous apprend que le Cercle de Lorraine existe toujours (y vendent-ils des salades de betteraves ou des fours à raclette pour survivre?) et que Filigranes reste une librairie.


J'en termine avec ce qui me semble être le seul réel débat que soulève toute cette polémique: quel est finalement l'intérêt de boire de la piquette biologique ? A quoi bon favoriser les bienfaits physiques du bio s'il faut avaler deux litres de Gaviscon pour faire passer les crampes d'estomac qui s'ensuivent? Sans même évoquer le flacon de listerine qu'il faut vider après coup pour se débarrasser du sourire de schtroumpf.


A vos dissertations mes enfants.