mercredi 17 août 2016

Nouveau blog, nouvelle adresse...: A.L.W.N.T.R.

Après pratiquement dix années sous le nom "New Kicks On The Blog", ce blog change de nom pour mieux coller aux initiales de son auteur et devient A.L.W.N.T.R.

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lundi 9 mai 2016

Alan Weisman - "Homo Disparitus" vs. Locrian / Horseback - "New Dominions"

Sorti en 2012, le split "New Dominions", signé Locrian et Horseback, dépeignait des paysages sonores désolés, éteints, à la limite de l'étouffement sonore. L'impression de générique de fin d'une civilisation qui s'en dégage n'a rien de fortuit: l'album a été composé comme une bande sonore accompagnant la lecture d'un livre magistral. Dans "Homo Disparitus" ("The World Without Us" dans sa version originale), Alan Weisman s'interroge sur le devenir de la planète si l'espèce humaine devait s'éteindre subitement. Son propos ne pouvait pas mieux coller avec l'univers musical de ces défricheurs de bruits. Ne t'inquiète pas si ça pique un peu, c'est voulu.

(si tu n'aimes pas les digressions, passe immédiatement à l'intertitre suivant). 

Le cheminement qui m'amène d'un disque à un livre, un film, un tableau ou un autre disque est souvent tortueux. Celui qui m'a conduit à dévorer le mois dernier "Homo Disparitus" d'Alan Weisman n'échappe pas à la règle. Pour remonter le courant, il faut revenir à une époque où je commençais à m'intéresser à Mamiffer, le groupe emmené par Faith Coloccia et son compagnon Aaron Turner, qui n'est autre que le fou furieux qui menait jadis les papes du post-metal Isis.

A coups de drones, de nappes de piano égarées et de chuchotements effrayants, Mamiffer m'a mis une claque scénique dont je ne me remettrai jamais. C'était au Magasin4, je ne sais plus très bien quand. A l'époque, j'avais déjà adoré l'album "Mare Decendrii". Après le concert, j'avais dépensé mon dernier billet pour acquérir "Bless Them That Curse You", un curieux double album à 3 faces, tout blanc. En écoutant ces plaques, c'était comme si j'avais entendu le brouillard. Un truc étrange, léger par moments, épais par d'autres. Un disque dont on ne voit pas le bout, jusqu'à un dénouement final tout en fracas et déluge. Une drôle d'affaire.

Il se fait que ce disque est un split, qui réunit Mamiffer et Locrian, sans qu'on ne sache vraiment qui fait quoi. C'est donc tout naturellement que j'ai commencé à fouiller dans l'interminable discographie de Locrian, dont j'ai extrait de sacrées perles. Pratiquant le grand écart entre noise, black metal, ambient et post-rock, Locrian ne sonne comme personne. C'est l'exemple même du groupe inclassable.

Dans la foulée, mon attention a été attirée par "New Dominions", un split réunissant Locrian et Horseback, un autre disque qui m'ouvrait de nouvelles perspectives. Si Locrian aiguise son propos sur des sonorités froides et métalliques, Horseback n'hésite pas à revenir à des guitares plus posées (quoi que...), à puiser dans l'héritage folk et psychédélique du rock US des années 60 et envoie le tout au diable à coups de hurlements infernaux dignes des formations black metal les plus radicales.

Depuis lors, j'ai découvert en Horseback une source étonnante d'émerveillement: des disques à la pelle, des collaborations à n'en plus finir, les projets parallèles de son leader Jenks Miller et même son implication dans le groupe country pop Mount Moriah (ce dernier n'étant vraiment pas ma tasse de thé). A lui seul, Horseback mérite un prochain article qui lui sera entièrement consacré.

Un livre, un disque


Ce contexte étant posé, voilà qui nous ramène à cette soirée de janvier dernier, où Locrian donnait un concert à Bruxelles, au Magasin4. Après les hostilités, la conversation s'engage avec le batteur et dévie rapidement sur ce split avec Horseback. La discussion embraie sur "The World Without Us" d'Alan Weisman, le bouquin qui a donc inspiré ce disque... même s'il n'est mentionné nulle part sur la pochette. Au mieux, une photo sur la page Facebook du groupe m'avait mené sur cette piste, ce que confirme Locrian. "Un livre qui a changé nos vies", selon le batteur. Il n'en fallait pas plus pour me convaincre de me jeter sur l'ouvrage, bêtement traduit en français "Homo Disparitus".

Alan Weisman est un journaliste américain qui, pendant des années, a parcouru le monde à la rencontre de scientifiques à qui il a soumis l'hypothèse suivante: si l'espère humaine devait subitement s'éteindre, qu'advientrait-il de notre chère planète? Combien d'années faudrait-il pour effacer toute trace de notre passage? Combien de temps nos villes pourraient-elles résister? Que deviendront l'art, le langage, le savoir? Comment réagiraient les autres espèces vivantes? Un postulat digne de la science-fiction, mais abordé sous l'angle purement scientifique.

Dès les premières pages du récit, on comprend rapidement que toutes nos créations dépendent largement de la survie de notre espèce pour perdurer. Il suffirait ainsi de quelques jours sans intervention humaine pour que New York se retrouve sous eau. Les ponts résisteraient moins longtemps si aucune voiture ne les empruntait - car les roues chassent les graines qui s'immiscent dans les failles du béton. Les systèmes de sécurité automatiques des plateformes pétrolières ne tiendraient pas plus d'une semaine. Les sites de forage s'embraseraient les uns après les autres. Sans personne pour éteindre les incendies, les flammes perduraient jusqu'à l'épuisement des nappes d'hydrocarbures, créant d'immenses nuages de cendres qui précipiteraient un nouvel hiver nucléaire qui durerait pas loin des 10.000 ans. Voilà pour le côté spectaculaire.

Pourtant, la réflexion ne s'arrête pas aux grandes explosions apocalyptiques. Oh non. Au fil des pages, on apprend que le raisonnement de la survie de l'Homme n'est pas qu'un pur postulat théorique. Ainsi, on considère que l'étanchéité des sites d'enfouissement de déchets nucléaires est garantie pour les 10.000 prochaines années. Soit une broutille à l'échelle de l'histoire de l'Univers. Conscients des risques, les responsables de certains sites ont gravé sur les parois en béton armé immergées sous des tonnes de terres des messages en une cinquantaine de langues pour prévenir de futurs visiteurs du danger à s'aventurer sur les lieux. Une démarche aussi fascinante que vouée à l'échec, quoi qu'il arrive. L'auteur rappelle que les langues évoluent tellement vite qu'il n'y a pratiquement aucune chance pour qu'un être humain, survivant miraculeux d'une espèce vouée à l'extinction, puisse les déchiffrer dans 10.000 ans.

Voilà le genre d'exemples - innombrables - dont regorge ce livre qu'on ne parvient pas à déposer. Je dois reconnaître tout de même qu'il souffre par moments d'une certaine densité. Les descriptions de processus chimiques qui mèneraient à libérer telle ou telle matière dans notre atmosphère sont parfois un peu pénibles à suivre. Mais heureusement, Weisman les entrecoupe d'exemples, dont je retiens quelques uns des plus saisissants:

- Depuis qu'il est devenu sédentaire, l'être humain n'a eu de cesse de saccager son environnement. Même les tribus Massaï ont brûlé des hectares de forêts pour développer leur agriculture. Cette destruction méthodique a amené plusieurs espèces à nouer des "alliances" au fil de l'évolution. Ainsi, les gnous, les zèbres et les gazelles ont, sur plusieurs milliers d'années, développé des systèmes d'alerte collaboratifs ultra-sophistiqués à l'approche d'un prédateur.

- Une série de sites démontrent qu'il y a bien eu des éléphants en Amérique. Tous ont été décimés.

- Dans leur mythologie, les Indiens d'Amérique nient l'existence autrefois d'une bande de terre sur le Détroit de Bering, qui reliait la Russie à l'Alaska. En effet, ce passage d'un continent à l'autre n'est pas compatible avec l'idée de "Native Americans". Aucune civilisation n'est née sur le continent américain, toutes les populations sont des nomades venus d'Afrique.

Nourri aux sources des théories de l'évolution de Darwin et Larmarck, le récit de Weisman aborde des thématiques aussi variées que celles de l'amoncellement des polymères au fond des océans, des cités souterraines antiques qui s'enfoncent sur 18 niveaux en Turquie ou d'une étonnante hypothèse sur la disparition de la civilisation Maya.

Ce dernier exemple, tout comme celui de l'Egypte ancienne, démontrent une fois de plus que l'hypothèse de l'extinction de notre civilisation n'a rien de loufoque, loin de là. La superposition de toutes ces théories nourrit une réflexion nécessaire sur la place de l'Homme sur notre planète et permet de reconsidérer notre action dans une perspective macro-historique qui manque souvent à la gestion de la chose publique. Comment en effet prendre de la hauteur face au devenir de l'Humanité lorsque l'action politique ne se fixe comme horizon que la prochaine échéance électorale, soit 5 ou 6 ans pour les plus chanceux?

Avant un dernier chapitre que j'estime superflu, le plaidoyer de Weisman évoque, avec des pincettes, le mouvement VHEMT, pour Voluntary Human Extinction Movement. Mené par l'activiste environnemental américain Les Knight, ce mouvement prône une extinction pilotée de la race humaine afin d'assurer la prospérité de l'ultime génération. Pour caricaturer: une stérilisation totale de l'espèce résoudrait immédiatement tous les conflits mondiaux, en actant la fin de la pénurie des ressources, l'éradication des questions liées à la dette ou au financement de la sécurité sociale. Selon le mouvement VHEMT, aussi radicale qu'elle soit, une telle campagne promettrait à la dernière génération d'humains une existence plus heureuse que celle de toutes les générations qui nous ont précédés.

Plus modéré, Weisman rappelle toutefois qu'une politique de natalité maîtrisée à l'échelle de la planète qui limiterait les naissances à 1 enfant par couple ramènerait le nombre d'habitants de la planète à 1,6 milliards d'individus d'ici 2100. Et quand bien même nous précipiterions notre extinction, rien n'indique qu'une autre espèce ne développerait pas à son tour les mécanismes destructeurs qui caractérisent notre civilisation. L'exemple des tendances génocidaires du chimpanzé fait à cet égard froid dans le dos.

Mots et sons


Fataliste, désespérant, mais diablement documenté, le livre de Weisman ne ferme pas la porte à un dénouement favorable... dont nous serions exclus. Si effectivement, l'extinction de l'être humain semble en bonne voie, la nature - via l'évolution - trouvera forcément sa voie pour éviter une éradication totale de notre planète. Mais à notre niveau de développement actuel, aucune illusion ne persiste: la Terre se portera beaucoup mieux sans nous. Reste à savoir si notre passage laissera une trace indélébile. Pour Weisman, sur le très long terme, seule la problématique des polymères qui saturent nos océans risque de ne pas trouver de solution. On ne peut toutefois pas exclure qu'une énième évolution permette aux poissons de digérer ces matières et d'en débarrasser les fonds marins.

A l'écoute de New Dominions, je ne peux que constater l'inévitable: personne ne pouvait mieux illustrer ce récit qu'un tandem Locrian - Horseback. Flippant, gueulard, à rebrousse-poil, cet album dépeint un monde sans couleur, déboulant à fond de caisse dans une voie sans issue.

En lisant ce livre, en écoutant ce disque, on ne peut se sentir que tout petit. Comme le rappelle Weisman, les sondes Pioneer 10 et Pioneer 11, lancées en 1972 et 1973, contiennent des traces de notre civilisation et de notre culture (dessins, enregistrements audio) à l'usage d'une éventuelle population extraterrestre qui croiserait un jour notre destinée. Après avoir frôlé Saturne en 1979, Pioneer 11 s'est ensuite dirigée vers la Constellation du Sagittaire. Elle ne croisera plus aucune étoile avant... 4 millions d'années.

Liens

Le site d'Alan Weisman entièrement dédié à son projet "The World Without Us"
L'album "New Dominions" en écoute intégrale.
La discographie sélective de Locrian.
La discographie (très) sélective de Horseback.

mercredi 10 février 2016

Kim Gordon - Girl in a Band

Avec "Girl in a Band", Kim Gordon signe une autobiographie passionnante. Elle y raconte le quotidien d'une femme dont la vie hésite entre Los Angeles et New York et qui, accessoirement, était la bassiste de Sonic Youth. Accessoirement hein.

Kim Gordon a toujours été pour moi un mystère. Silhouette droite et rigide, visage dur et fermé, voix écorchée au papier de verre. J'ai dû voir Sonic Youth en concert une bonne dizaine de fois, dont au moins la moitié au premier rang. Mes tentatives désespérées de croiser son regard ont toujours échoué. Imperturbable, l'oeil opaque qui fixe l'horizon, Kim Gordon n'a jamais donné l'impression d'être prête à laisser transparaître la moindre émotion, et certainement pas la moindre faiblesse. Exécutant ses morceaux à la perfection, elle ne s'encombrait pas de discussions avec le public et était toujours la première à quitter la scène, pendant que ses compères s'amusaient à démolir leurs amplis à coups de larsens assassins.

Dans son autobiographie, Kim lâche enfin la bride. Celle qui semblait tellement vouloir contrôler son image se livre jusqu'à dévoiler certains détails parfois gênants de sa vie de couple, et laisse ainsi apparaître un tout autre personnage, d'une profonde sensibilité, parfois naïve, souvent blessée, mais terriblement attachante. Dès les premières lignes, elle annonce la couleur et reconnaît sa "froideur" légendaire. Dès que ces barrières tombent, c'est une vie entière - fascinante - qu'elle raconte comme si elle tenait un journal intime. Le ton austère n'était en réalité qu'une forme extrême de timidité. Quand Kim Gordon baisse la garde, on a juste envie de la serrer dans ses bras.

Donc non, "Girl in a Band" ne raconte pas l'histoire de Sonic Youth. On y suit plutôt la vie d'une gamine de bonne famille, élevée par des parents universitaires et ayant grandi aux côtés d'un frère aîné schizophrène. On découvre un parcours fait de rencontres que Kim relate avec un naturel assez déroutant, comme si finalement, tout cela était d'une affligeante banalité. Les anecdotes s'enchaînent, depuis ses années de lycée où elle sortait avec un camarade de classe qui n'était autre que Danny Elfman (aujourd'hui compositeur de nombreuses musiques de film pour Tim Burton) jusqu'à sa vie de maman où elle a dû décliner une réunion de parents d'élèves parce qu'elle devait interviewer Yoko Ono. Normal, quoi. Qui ne s'est jamais retrouvé dans la même situation?

Star banale

Pour contrebalancer cet impressionnant tableau de chasse, on apprend aussi de nombreux détails qui relativisent la notion de "star system" dans un milieu punk arty new-yorkais trônant pourtant sur le toit du monde de la branchitude rock. Lire que les musiciens de Sonic Youth se sont fait traiter comme des moins que rien par le tour manager de Neil Young sur leur tournée commune, ça écorche un peu le mythe. Idem pour l'apparition de Chuck D sur l'album "Goo", qui en réalité n'est due qu'à un heureux concours de circonstances. Le pincement au coeur se fait encore plus douloureux lorsque Kim retrace l'ultime tournée de Sonic Youth en Amérique Latine, suivant l'annonce de son divorce avec Thurston Moore. Le récit a de quoi surprendre. On y revit les repas après les concerts - où le malaise était tellement palpable que plus personne n'osait lui parler à table - ou son retour après le concert en Argentine, le tout dernier de Sonic Youth, seule dans l'avion pour préparer la rentrée scolaire de sa fille... bien consciente que vient de se refermer le chapitre final d'un groupe culte qui aura duré près de 30 ans.

Sur Sonic Youth en tant que tel, Kim Gordon raconte tout de même les coulisses de certains albums, l'histoire des pochettes, l'ambiance des sessions d'enregistrement, les références de certains textes. Mais le groupe n'est qu'un élément du décor, une partie d'une vie qu'elle partage entre ses peintures, la réalisation de films, une marque de vêtements... et sa vie intime. Etrangement, Lee Ranaldo est pratiquement absent du récit, comme si elle ne lui attribuait qu'un rôle de figurant.

Forcément, sa relation avec le guitariste Thurston Moore, le père de sa fille, qui se termine 23 ans plus tard par un divorce fracassant, occupe une grande place dans ce bouquin. Au point de susciter parfois l'impression d'un règlement de comptes en public.

Pour conclure, je dirais que ce bouquin ne plaira pas à tous les fans de Sonic Youth. Il ne plaira qu'à celles et ceux qui ont envie de percer une partie du mystère Kim Gordon et de marcher dans les pas d'une meuf qui impose le respect de quiconque a jamais vibré au son d'un de ses albums. Les autres risquent de se perdre dans les très nombreux détails sur son enfance ou son parcours en dehors du groupe.

20 ans déjà

Pour ma part, c'est toujours bon signe, je garde un souvenir très précis du jour où j'ai découvert Sonic Youth. Je devais avoir 15 ans, c'était au tout début de l'année scolaire. A force d'arriver toujours en retard en classe, je me retrouvais assis au dernier banc, sur la dernière chaise laissée libre, à côté d'un mec à moitié punk, un peu barré, qui venait de redoubler son année et à qui personne n'adressait la parole. Les potes le trouvaient bizarre, moi il me faisait marrer. Il venait de se faire menacer de renvoi parce qu'il avait suspendu sa veste au clou planté dans les pieds de Jésus, sur l'immense crucifix de deux mètres qui trônait au fond de la classe, transformant la croix en porte-manteau. Ecole catho oblige, ça n'avait pas du tout plu. En m'asseyant à côté de lui, j'avais posé sur la table une des nombreuses cassettes qui encombraient mon sac. Tout d'un coup, le mec avait retrouvé l'usage de la parole:

- T'écoutes du rock?
- Ben ouais...
- Je vais te prêter des cassettes alors.

La première qu'il m'a prêtée, c'est "Experimental Jet Set Trash and No Star" de Sonic Youth. Je m'en souviens comme si c'était hier. Je me l'étais passée dans le walk-man en me baladant dans la rue. Je devais rejoindre mes parents qui tenaient un stand sur une brocante couverte. Quand je suis entré dans le vaste hangar, c'est "Skink" qui me martelait les oreilles. Je marchais littéralement au-dessus du sol, je volais, je n'avais jamais rien entendu de pareil. Avec la voix de Kim Gordon qui hurlait "I love you" comme si elle m'engueulait et puis qui semblait m'inviter à partager une partie de son intimité, j'étais ailleurs. Mes pieds ne touchaient plus terre. J'étais fou amoureux de cette voix embrumée, de cette basse, des guitares qui partaient complètement en vrille et du jeu de batterie tellement maîtrisé.


Par la suite, on s'est échangé des tonnes de cassettes. Le mercredi après-midi, on rassemblait ce qui nous restait d'argent de poche pour louer des CDs à la Médiathèque qu'on copiait sur des cassettes: Pixies, The Jesus Lizard, Mudhoney, Tad, The Melvins, L7, etc. Et puis on s'est tapé à peu près tous les concerts de Sonic Youth possibles et imaginables, on a roulé des heures pour être au premier rang au retour de Mudhoney à Paris, et on a remis le couvert pour The Jesus Lizard des années plus tard.

Quand j'ai déménagé pour la 10e fois en 15 ans l'été dernier, c'est lui qui est venu m'aider à démonter mes meubles. 20 ans plus tôt, notre amitié a commencé avec une cassette de Sonic Youth. C'est dire à quel point ce groupe compte pour moi.

mercredi 13 janvier 2016

Kabbale, fusion nucléaire et immortalité: l'étrange message laissé par Bowie

En quittant ce bas monde, Bowie boucle l'oeuvre de toute une vie. Au passage, il en profite pour livrer une partie des clés qui aident à résoudre une énigme qu'il nous avait soumise il y a 40 ans. Si Bowie est une oeuvre d'art à lui tout seul, son décès en est l'ultime chapitre. Mais les oeuvres d'art sont-elles mortelles? 


Ce n'est un secret pour personne: je suis profondément bouleversé par le décès de David Bowie, sans doute l'artiste que j'apprécie le plus, toutes disciplines confondues, et ce depuis une grosse vingtaine d'années. Depuis l'annonce de sa mort ce lundi matin, je reste incrédule et me repasse en boucle cette réplique d'Al Pacino dans le film "Donnie Brasco", apprenant la mort de John Wayne, et qui donne à peu près ceci :

"Il y a des choses que je ne comprends pas. 
Comment quelqu'un comme John Wayne peut-il mourrir?"

Je ressens la même chose à propos de Bowie.

Evidemment, je ne vais pas refaire toute l'analyse de l'oeuvre de Bowie, traversée de part en part par son obsession de l'éternité, de l'immortalité et du surhomme. Que ce soit dans ses chansons, sur les pochettes de ses albums, dans ses rôles au cinéma, et même dans la publicité, Bowie a toujours martelé l'idée d'une entité supérieure qui lui survivrait. Même dans "Labyrinthe", malgré son accoutrement et une bande son plus que discutables, Bowie dérobe un bébé pour s'assurer une vie éternelle. "The Man Who Fell To Earth", "Merry Christmas Mr. Lawrence", "The Hunger" ressassent cette thématique de l'immortalité, du surhomme.

Pour revenir au décès de Bowie, ce qui impressionne immédiatement, c'est la mise en scène de sa propre mort. Bowie a toujours donné l'impression qu'il maîtrisait la destinée de son oeuvre. Son décès en fait également partie. C'est le dernier chapitre d'une oeuvre globale, magistrale, dont il est à la fois l'auteur et l'acteur principal. Comme le résume le producteur Tony Visconti:

"La vie de Bowie est une oeuvre d'art."


Il ne faut pas être Madame Irma pour comprendre que le clip de Lazarus doit se lire comme un message d'adieu. Pourtant, certains détails entourant Blackstar et Lazarus méritent vraiment qu'on s'y attarde, car ils dévoilent une énigme que l'artiste a subtilement dissimulée.





Le premier élément frappant, c'est le costume que porte Bowie dans le clip de Lazarus. Pas dans son lit, mais bien ce costume rayé noir et blanc dans lequel il apparaît à partir de 2'00. Cette tenue vestimentaire est exactement la même que celle que Bowie portait sur la photo qui illustre le verso de l'album "Station To Station", sorti en 1976. Et accessoirement selon moi son meilleur album, loin devant tous les autres.

Les images de "Station To Station" sont issues de sessions avec l'immense photographe américain Steve Schapiro, qui réalisa notamment la pochette de l'album, mais également celle de "Low" l'année suivante.




Evidemment, chez Bowie, le hasard et la coïncidence n'ont aucune place. Tout est savamment calculé.

Revenons donc à cette photo de 1976. On y voit un Bowie agenouillé, occupé à tracer des diagrammes sur le sol. Plusieurs rééditions de l'album présentent la même photo avec un cadrage plus large, voire d'autres images de cette session.



Comme l'explique ce site, les diagrammes dessinés par Bowie sur cette image représentent l'Arbre de la Vie ou Arbre des Sephiroth. Il s'agit de symboles kabbalistiques que l'on retrouve également dans les paroles de la chanson Station To Station:

Here are we 
One magical movement 
from Kether to Malkuth

Je ne connais pas grand chose en Kabbale, mais Kether (la couronne) et Malkuth (le Royaume) semblent être la première et dernière vertus de l'Arbre de Vie, comme l'explique ce site.

Sur d'autres photos de cette session de 1976, on découvre un Bowie toujours occupé à tracer ses diagrammes, mais dans un carnet cette fois. Son regard se perd à l'infini, songeur. Le plan plus large découvre un point d'interrogation sur le mur. On peut donc en déduire que Bowie s'interroge sur le sens de la vie. Ses gribouillages sont une quête, un point de départ.



Retour en 2016. Nous retrouvons donc Bowie qui danse autour de son lit de mort, dans son costume de 1976, et s'assied ensuite à son bureau où il réfléchit, prend note dans un carnet, presque en transe, quitte à déborder du support. Il semble avoir enfin trouvé le sens qu'il cherchait. Le rapprochement entre les deux images, à 40 années d'intervalle, est frappant. Il boucle ici le dernier chapitre, termine ses notes, s'en va à reculons. Le rideau peut tomber, Bowie a résolu son énigme.

C'est difficile d'être catégorique, mais un zoom sur les notes du carnet semble en tout cas montrer qu'il ne s'agit pas d'un texte continu, mais bien d'une suite de traits géométriques. S'agit-il de nouveaux symboles kabbalistiques? Lui seul le sait.




Une autre image pourrait toutefois apporter un élément de réponse. Bowie a donc semé dans le clip de Lazarus des graines qui nous ramènent à une image de 1976 et d'étranges diagrammes. Ce n'est pas la seule. Il est en effet très difficile de ne pas rapprocher ces diagrammes à d'autres symboles entourant la sortie de Blackstar.

Lorsque j'ai commandé mon vinyle, j'ai opté pour le super "bundle" contenant également trois lithographies. Bien que j'attende toujours mon disque, les trois lithos m'ont été livrées la veille de Noël. L'un d'elles est également ornée d'une série de symboles qui ressemblent à s'y méprendre à ceux des photos de 1976.




Après vérification auprès d'un ami (coucou Bruno!), il s'agit en réalité de formules chimiques. Les dessins représentent les différentes étapes du processus de fusion nucléaire qui mène à la création d'un soleil, comme l'explique très bien ce site qui reprend également la même formule. Je suis aussi nul en chimie qu'en kabbale, mais nous nous trouvons bien ici face à un processus qui fusionne des atomes d'hydrogène et d'hélium, libérant une énergie colossale qui mène à la formation d'une étoile.

I'm a blackstar...

Voilà qui nous permet de revenir au clip de Blackstar, la première étape annonçant la sortie de ce disque de Bowie, dont plus personne ne doute qu'il s'agit d'un testament rédigé en toute connaissance de cause.




Dans la vidéo de Blackstar, les symboles sont également nombreux. Personne n'oserait remettre en cause l'identité du cadavre d'astronaute qui apparait sur le premier plan. Si ce n'est pas le Major Tom de Space Oddity, perdu dans l'espace et qu'on aurait enfin retrouvé, alors il faudra vraiment que je révise mes classiques ! Major Tom fait donc dans ce film l'objet d'un rite mortuaire, qui constitue la trame de toute la vidéo.

Comment dès lors interpréter toute cette imbrication de symboles? Voici ma version, qui vaut ce qu'elle vaut:

Dans le clip de Lazarus, Bowie résout l'énigme de la vie sur laquelle il s'interrogeait depuis 1976. Son existence, indissociable de son oeuvre, l'a amené à transiter par de nombreux personnages qu'il a créés. Sa vie est une oeuvre d'art à elle seule. Bowie en a maintenant terminé, il peut refermer ce livre. Cet ultime chapitre ne se termine toutefois pas avec le décès de l'artiste, ce serait trop simple. Bowie n'est pas du genre à s'éteindre du jour au lendemain. Il nous renvoie donc à ces symboles chimiques, accompagnant Blackstar. Le propre de la fusion nucléaire, c'est l'interpénétration de deux éléments qui libère une énergie suffisante pour créer un soleil.

Dans le clip de Blackstar, ces deux éléments qui fusionnent nous sont livrés sur un plateau d'argent : il s'agit d'une part de Major Tom, qui incarne à lui seul les dédoublements de personnalités de Bowie (Major Tom, Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Halloween Jack, Thin White Duke, Nathan Adler) et Bowie lui-même. L'acteur et son créateur. L'homme et son personnage fusionnent enfin. Ensemble, ils libèrent une énergie capable de créer un soleil, source de lumière éternelle. I'm a blackstar. Bowie est apaisé, il a enfin réalisé son voeu: celui de l'immortalité de son oeuvre. Et comme son oeuvre, c'est sa vie, Bowie est désormais éternel.

La fusion de l'acteur et du créateur vient ainsi boucler la boucle. From Kether to Malkuth, Bowie a désormais atteint le Royaume, dont voici la description kabbalistique:

"La dixième séphire est intelligence resplendissante. Elle est le réceptacle de toutes les influences. Malkuth incarne le stade ultime de la forme, dense et palpable, incapable d'exister plus concrètement. Elle est notre univers, notre planète, notre corps et toutes choses animées et inanimées qui nous entourent. Malkuth est le Royaume des formes imaginées enfin réalisées. Malkuth est aussi le lieu où les liens entre force et forme se dégradent et se rompent, le seuil où l'on "rend l'âme", où ce qui ne peut être assimilé devient déjection. Le défi de l'homme est sans doute de pouvoir maîtriser un jour la myriade d'énergies et d'influences qui s'agitent dans son royaume." (source)

J'ai toujours su que Bowie était un Dieu. Maintenant, j'en ai la preuve.
Je peux enfin commencer mon deuil.




Note : toutes les photos de l'époque Station To Station dans cet article sont l'oeuvre du photographe américain Steve Schapiro    

samedi 9 janvier 2016

VIdéo: OMSQ live au Botanique, avec Bruce Ellison

Quand j'étais ado, j'avais enregistré sur une VHS un documentaire qui parlait du rock belge du milieu des années 90, ce truc qui nous semblait tellement inconcevable, étant nourris du matin au soir de rock anglo-saxon. On y parlait notamment de dEUS, de Mad Dog Loose et de PPz30. J'ai dû regarder cette cassette au moins 30 fois. C'est comme ça que j'ai découvert ce personnage totalement insolite qu'est Bruce Ellison.



A peu près 20 ans plus tard, quand on a enregistré Vertigo, le deuxième EP de OMSQ qu'on partageait cette fois avec les Progerians, on cherchait une voix pour lire un extrait de Mr. Vertigo de Paul Auster sur le passage le plus calme du morceau. Dans nos têtes, l'idée était très claire: on voulait quelqu'un capable de lire cet extrait à la manière d'un prêcheur américain en transe. L'exemple qu'on a utilisé pour le briefing, c'est cette scène hallucinante du film "There Will Be Blood", où l'acteur Paul Dano est tellement habité qu'il foutrait presque autant les boules que n'importe quelle scène de L'Exorciste.



Restait à trouver LA voix pour nous déclamer du Paul Auster avec la même puissance face à un micro. Il se fait que Bertrand, notre batteur, connait bien Bruce Ellison. Il lui a proposé, il a dit oui sans problème, il s'est pointé au studio et en une prise, le truc était emballé. Quelques mois plus tard, Bruce est venu nous voir à l'Os à Moelle. Accoudé au bar en train de descendre des trappistes après le concert, il nous a donné un conseil précieux, avec son accent inimitable :

"Quand tu joues du rock, tu t'en fous de ce que te dit l'ingé son. Tu mets tout à fond et tu joues. 
Le reste, ce n'est plus ton problème."

Quand on a appris qu'on allait jouer au Botanique en novembre dernier, on s'est tout de suite dit que ce serait peut-être l'occasion de marquer le coup et de proposer à Bruce de nous accompagner sur scène. Il a accepté, toujours avec le même enthousiasme. Cette fois, on lui a proposé deux textes: le même extrait de Mr. Vertigo, et pour un autre morceau inédit, un poème de William Blake.

Comme pour l'enregistrement, Bruce s'est imposé avec une aisance déconcertante. Sur scène, il n'a pas tout à fait commencé quand il le fallait. Du coup, on est un peu passé à côté de l'effet recherché. Mais le mec assure tellement qu'il n'a pas hésité à rallonger le texte de Blake pour récupérer sa petite boulette. Au final, vu que personne n'avait jamais entendu ce morceau, c'est passé inaperçu.




Donc le 7 novembre dernier, j'ai réalisé deux rêves d'ado en une soirée: jouer sur la scène de la Rotonde et partager cette même scène avec ce vieux briscard de Bruce Ellison.

Dans les prochains mois, on reprend la route du studio pour enregistrer les prochains disques. Ce morceau-là y sera forcément, mais très certainement dans une version bien différente. Et sans doute avec un autre texte. La prestation de Bruce a eu l'avantage de montrer les limites du poème de Blake.



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