mercredi 13 janvier 2016

Kabbale, fusion nucléaire et immortalité: l'étrange message laissé par Bowie

En quittant ce bas monde, Bowie boucle l'oeuvre de toute une vie. Au passage, il en profite pour livrer une partie des clés qui aident à résoudre une énigme qu'il nous avait soumise il y a 40 ans. Si Bowie est une oeuvre d'art à lui tout seul, son décès en est l'ultime chapitre. Mais les oeuvres d'art sont-elles mortelles? 


Ce n'est un secret pour personne: je suis profondément bouleversé par le décès de David Bowie, sans doute l'artiste que j'apprécie le plus, toutes disciplines confondues, et ce depuis une grosse vingtaine d'années. Depuis l'annonce de sa mort ce lundi matin, je reste incrédule et me repasse en boucle cette réplique d'Al Pacino dans le film "Donnie Brasco", apprenant la mort de John Wayne, et qui donne à peu près ceci :

"Il y a des choses que je ne comprends pas. 
Comment quelqu'un comme John Wayne peut-il mourrir?"

Je ressens la même chose à propos de Bowie.

Evidemment, je ne vais pas refaire toute l'analyse de l'oeuvre de Bowie, traversée de part en part par son obsession de l'éternité, de l'immortalité et du surhomme. Que ce soit dans ses chansons, sur les pochettes de ses albums, dans ses rôles au cinéma, et même dans la publicité, Bowie a toujours martelé l'idée d'une entité supérieure qui lui survivrait. Même dans "Labyrinthe", malgré son accoutrement et une bande son plus que discutables, Bowie dérobe un bébé pour s'assurer une vie éternelle. "The Man Who Fell To Earth", "Merry Christmas Mr. Lawrence", "The Hunger" ressassent cette thématique de l'immortalité, du surhomme.

Pour revenir au décès de Bowie, ce qui impressionne immédiatement, c'est la mise en scène de sa propre mort. Bowie a toujours donné l'impression qu'il maîtrisait la destinée de son oeuvre. Son décès en fait également partie. C'est le dernier chapitre d'une oeuvre globale, magistrale, dont il est à la fois l'auteur et l'acteur principal. Comme le résume le producteur Tony Visconti:

"La vie de Bowie est une oeuvre d'art."


Il ne faut pas être Madame Irma pour comprendre que le clip de Lazarus doit se lire comme un message d'adieu. Pourtant, certains détails entourant Blackstar et Lazarus méritent vraiment qu'on s'y attarde, car ils dévoilent une énigme que l'artiste a subtilement dissimulée.





Le premier élément frappant, c'est le costume que porte Bowie dans le clip de Lazarus. Pas dans son lit, mais bien ce costume rayé noir et blanc dans lequel il apparaît à partir de 2'00. Cette tenue vestimentaire est exactement la même que celle que Bowie portait sur la photo qui illustre le verso de l'album "Station To Station", sorti en 1976. Et accessoirement selon moi son meilleur album, loin devant tous les autres.

Les images de "Station To Station" sont issues de sessions avec l'immense photographe américain Steve Schapiro, qui réalisa notamment la pochette de l'album, mais également celle de "Low" l'année suivante.




Evidemment, chez Bowie, le hasard et la coïncidence n'ont aucune place. Tout est savamment calculé.

Revenons donc à cette photo de 1976. On y voit un Bowie agenouillé, occupé à tracer des diagrammes sur le sol. Plusieurs rééditions de l'album présentent la même photo avec un cadrage plus large, voire d'autres images de cette session.



Comme l'explique ce site, les diagrammes dessinés par Bowie sur cette image représentent l'Arbre de la Vie ou Arbre des Sephiroth. Il s'agit de symboles kabbalistiques que l'on retrouve également dans les paroles de la chanson Station To Station:

Here are we 
One magical movement 
from Kether to Malkuth

Je ne connais pas grand chose en Kabbale, mais Kether (la couronne) et Malkuth (le Royaume) semblent être la première et dernière vertus de l'Arbre de Vie, comme l'explique ce site.

Sur d'autres photos de cette session de 1976, on découvre un Bowie toujours occupé à tracer ses diagrammes, mais dans un carnet cette fois. Son regard se perd à l'infini, songeur. Le plan plus large découvre un point d'interrogation sur le mur. On peut donc en déduire que Bowie s'interroge sur le sens de la vie. Ses gribouillages sont une quête, un point de départ.



Retour en 2016. Nous retrouvons donc Bowie qui danse autour de son lit de mort, dans son costume de 1976, et s'assied ensuite à son bureau où il réfléchit, prend note dans un carnet, presque en transe, quitte à déborder du support. Il semble avoir enfin trouvé le sens qu'il cherchait. Le rapprochement entre les deux images, à 40 années d'intervalle, est frappant. Il boucle ici le dernier chapitre, termine ses notes, s'en va à reculons. Le rideau peut tomber, Bowie a résolu son énigme.

C'est difficile d'être catégorique, mais un zoom sur les notes du carnet semble en tout cas montrer qu'il ne s'agit pas d'un texte continu, mais bien d'une suite de traits géométriques. S'agit-il de nouveaux symboles kabbalistiques? Lui seul le sait.




Une autre image pourrait toutefois apporter un élément de réponse. Bowie a donc semé dans le clip de Lazarus des graines qui nous ramènent à une image de 1976 et d'étranges diagrammes. Ce n'est pas la seule. Il est en effet très difficile de ne pas rapprocher ces diagrammes à d'autres symboles entourant la sortie de Blackstar.

Lorsque j'ai commandé mon vinyle, j'ai opté pour le super "bundle" contenant également trois lithographies. Bien que j'attende toujours mon disque, les trois lithos m'ont été livrées la veille de Noël. L'un d'elles est également ornée d'une série de symboles qui ressemblent à s'y méprendre à ceux des photos de 1976.




Après vérification auprès d'un ami (coucou Bruno!), il s'agit en réalité de formules chimiques. Les dessins représentent les différentes étapes du processus de fusion nucléaire qui mène à la création d'un soleil, comme l'explique très bien ce site qui reprend également la même formule. Je suis aussi nul en chimie qu'en kabbale, mais nous nous trouvons bien ici face à un processus qui fusionne des atomes d'hydrogène et d'hélium, libérant une énergie colossale qui mène à la formation d'une étoile.

I'm a blackstar...

Voilà qui nous permet de revenir au clip de Blackstar, la première étape annonçant la sortie de ce disque de Bowie, dont plus personne ne doute qu'il s'agit d'un testament rédigé en toute connaissance de cause.




Dans la vidéo de Blackstar, les symboles sont également nombreux. Personne n'oserait remettre en cause l'identité du cadavre d'astronaute qui apparait sur le premier plan. Si ce n'est pas le Major Tom de Space Oddity, perdu dans l'espace et qu'on aurait enfin retrouvé, alors il faudra vraiment que je révise mes classiques ! Major Tom fait donc dans ce film l'objet d'un rite mortuaire, qui constitue la trame de toute la vidéo.

Comment dès lors interpréter toute cette imbrication de symboles? Voici ma version, qui vaut ce qu'elle vaut:

Dans le clip de Lazarus, Bowie résout l'énigme de la vie sur laquelle il s'interrogeait depuis 1976. Son existence, indissociable de son oeuvre, l'a amené à transiter par de nombreux personnages qu'il a créés. Sa vie est une oeuvre d'art à elle seule. Bowie en a maintenant terminé, il peut refermer ce livre. Cet ultime chapitre ne se termine toutefois pas avec le décès de l'artiste, ce serait trop simple. Bowie n'est pas du genre à s'éteindre du jour au lendemain. Il nous renvoie donc à ces symboles chimiques, accompagnant Blackstar. Le propre de la fusion nucléaire, c'est l'interpénétration de deux éléments qui libère une énergie suffisante pour créer un soleil.

Dans le clip de Blackstar, ces deux éléments qui fusionnent nous sont livrés sur un plateau d'argent : il s'agit d'une part de Major Tom, qui incarne à lui seul les dédoublements de personnalités de Bowie (Major Tom, Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Halloween Jack, Thin White Duke, Nathan Adler) et Bowie lui-même. L'acteur et son créateur. L'homme et son personnage fusionnent enfin. Ensemble, ils libèrent une énergie capable de créer un soleil, source de lumière éternelle. I'm a blackstar. Bowie est apaisé, il a enfin réalisé son voeu: celui de l'immortalité de son oeuvre. Et comme son oeuvre, c'est sa vie, Bowie est désormais éternel.

La fusion de l'acteur et du créateur vient ainsi boucler la boucle. From Kether to Malkuth, Bowie a désormais atteint le Royaume, dont voici la description kabbalistique:

"La dixième séphire est intelligence resplendissante. Elle est le réceptacle de toutes les influences. Malkuth incarne le stade ultime de la forme, dense et palpable, incapable d'exister plus concrètement. Elle est notre univers, notre planète, notre corps et toutes choses animées et inanimées qui nous entourent. Malkuth est le Royaume des formes imaginées enfin réalisées. Malkuth est aussi le lieu où les liens entre force et forme se dégradent et se rompent, le seuil où l'on "rend l'âme", où ce qui ne peut être assimilé devient déjection. Le défi de l'homme est sans doute de pouvoir maîtriser un jour la myriade d'énergies et d'influences qui s'agitent dans son royaume." (source)

J'ai toujours su que Bowie était un Dieu. Maintenant, j'en ai la preuve.
Je peux enfin commencer mon deuil.




Note : toutes les photos de l'époque Station To Station dans cet article sont l'oeuvre du photographe américain Steve Schapiro    

samedi 9 janvier 2016

VIdéo: OMSQ live au Botanique, avec Bruce Ellison

Quand j'étais ado, j'avais enregistré sur une VHS un documentaire qui parlait du rock belge du milieu des années 90, ce truc qui nous semblait tellement inconcevable, étant nourris du matin au soir de rock anglo-saxon. On y parlait notamment de dEUS, de Mad Dog Loose et de PPz30. J'ai dû regarder cette cassette au moins 30 fois. C'est comme ça que j'ai découvert ce personnage totalement insolite qu'est Bruce Ellison.



A peu près 20 ans plus tard, quand on a enregistré Vertigo, le deuxième EP de OMSQ qu'on partageait cette fois avec les Progerians, on cherchait une voix pour lire un extrait de Mr. Vertigo de Paul Auster sur le passage le plus calme du morceau. Dans nos têtes, l'idée était très claire: on voulait quelqu'un capable de lire cet extrait à la manière d'un prêcheur américain en transe. L'exemple qu'on a utilisé pour le briefing, c'est cette scène hallucinante du film "There Will Be Blood", où l'acteur Paul Dano est tellement habité qu'il foutrait presque autant les boules que n'importe quelle scène de L'Exorciste.



Restait à trouver LA voix pour nous déclamer du Paul Auster avec la même puissance face à un micro. Il se fait que Bertrand, notre batteur, connait bien Bruce Ellison. Il lui a proposé, il a dit oui sans problème, il s'est pointé au studio et en une prise, le truc était emballé. Quelques mois plus tard, Bruce est venu nous voir à l'Os à Moelle. Accoudé au bar en train de descendre des trappistes après le concert, il nous a donné un conseil précieux, avec son accent inimitable :

"Quand tu joues du rock, tu t'en fous de ce que te dit l'ingé son. Tu mets tout à fond et tu joues. 
Le reste, ce n'est plus ton problème."

Quand on a appris qu'on allait jouer au Botanique en novembre dernier, on s'est tout de suite dit que ce serait peut-être l'occasion de marquer le coup et de proposer à Bruce de nous accompagner sur scène. Il a accepté, toujours avec le même enthousiasme. Cette fois, on lui a proposé deux textes: le même extrait de Mr. Vertigo, et pour un autre morceau inédit, un poème de William Blake.

Comme pour l'enregistrement, Bruce s'est imposé avec une aisance déconcertante. Sur scène, il n'a pas tout à fait commencé quand il le fallait. Du coup, on est un peu passé à côté de l'effet recherché. Mais le mec assure tellement qu'il n'a pas hésité à rallonger le texte de Blake pour récupérer sa petite boulette. Au final, vu que personne n'avait jamais entendu ce morceau, c'est passé inaperçu.




Donc le 7 novembre dernier, j'ai réalisé deux rêves d'ado en une soirée: jouer sur la scène de la Rotonde et partager cette même scène avec ce vieux briscard de Bruce Ellison.

Dans les prochains mois, on reprend la route du studio pour enregistrer les prochains disques. Ce morceau-là y sera forcément, mais très certainement dans une version bien différente. Et sans doute avec un autre texte. La prestation de Bruce a eu l'avantage de montrer les limites du poème de Blake.



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