L’expression « en avoir dans le pantalon » prend tout son sens à la lecture du livre de Thierry Huart-Eeckhout. L’auteur y raconte comment, alors qu’il était étudiant en dernière année en sociologie politique, il a infiltré les rangs du Front National belge dans le cadre de son mémoire de fin d’études.
La critique est facile, l’observation plus pertinente, la participation encore plus courageuse. Voilà comment on pourrait résumer ce récit qui nous plonge pendant un an dans les coulisses du parti d’extrême-droite. D’abord perplexe, l’étudiant s’étonne de l’enthousiasme avec lequel il est accueilli aux premières réunions. En quelques jours, il sera intégré comme un des leurs, sera invité aux congrès, aux commissions, partagera les petits secrets d’un parti qui ressemble surtout à un panier de crabes : querelles internes innombrables, démêlés avec la justice (pour des propos condamnables, pour des saluts nazis lors des prestations de serment mais aussi pour des tas d’approximations comptables qui vaudront au Front National une suspension de sa donation publique).
On est surtout surpris par l’intimité qui lie immédiatement les pontes du parti au jeune homme. Pas méfiants pour un sou, ils n’hésiteront pas à lui raconter leurs meilleures blagues sur les Juifs, à lui faire découvrir leurs bibliothèques richement garnies d’ouvrages révisionnistes, à lui montrer leurs photos dédicacées par Léon Degrelle, à lui expliquer leur lecture très particulière de la Seconde Guerre Mondiale, etc.
Mais le panier de crabes ne s’arrête pas là. En aparté, les cadres se tirent dans les pattes, se dénoncent les uns les autres. Ils préparent déjà la relève pour le jour où le président descendra de son piédestal. Pire : le livre montre à quel point le parti est désorganisé, amateur. Les réunions se tiennent dans un hangar mal chauffé, réunissent quelques rares sympathisants peu attentifs pendant que défilent à la tribune les élus qui dénoncent les complots contre leur personne et rejettent la responsabilité de leurs échecs cuisants sur leur voisin. La plupart du temps, les chaises sont vides parce que la secrétaire du parti s’est trompée de date en envoyant les invitations.
Le gouffre qui sépare la base des cadres est abyssal. D’un côté, des laissés pour compte, chômeurs, retraités, étudiants, moutons aveuglés par une propagande populiste et démago. De l’autre, quelques avocats et médecins, idéologues improvisés, nantis et opportunistes, aux dents qui raient le parquet, rarement au courant du fonctionnement de la chose publique.
Le livre de Thierry Huart-Eeckhout montre aussi un parti qui flirte avec des groupuscules nettement plus dangereux encore, comme Terre Et Peuple, cette organisation dont le but est de préparer l’Europe à la guerre ethnique.
Si j’ai commencé ce post par l’expression « en avoir dans le pantalon », c’est parce que l’auteur n’a reculé devant aucun obstacle pour rendre son récit le plus réaliste possible. Quand il a été invité à participer aux commissions chargées de la rédaction du programme électoral, il a dû prendre sa carte de membre comme les statuts du FN l’exigent (couvert par son directeur de recherche). Plus tard, on lui proposera même de rejoindre les listes, ce qu’il refusera habilement. Au cours des premières semaines de son infiltration, il était toujours accompagné d’un ami qui a préféré jeter l’éponge, sentant le danger d’une telle expérience. A plusieurs reprises, Thierry Huart-Eeckhout s’est retrouvé dans une posture délicate, comme la fois où il a trinqué malgré lui à la solution finale dans un restaurant proche du parlement en compagnie d’élus frontistes.
Malgré un style très scolaire, son livre est intéressant à plusieurs égards : d’une part pour l’audace de l’expérience et, d’autre part, pour la justesse du récit, précis comme un documentaire animalier. Ce travail est d’autant plus remarquable qu’en Belgique francophone, rappelons-le, l’extrême-droite est toujours boycottée par la presse (le fameux cordon sanitaire), ce qui laisse peu d’occasions d’appréhender de front ce parti morcelé, déchiré par les luttes intestines et au discours simpliste.
[Pour éviter les amalgames, je n’ai ajouté dans ce post aucun lien vers les sites du parti, des élus concernés ou des autres mouvements cités dans le livre. Une simple recherche sur Google permettra d’apprécier les propos nauséabonds de ces gens.]
Le liens :
Sur le site du Mrax : ici.
Sur le site des Editions Luc Pire : ici.
2 commentaires:
Très bon post !
J'ai également beaucoup apprécié la lecture ce livre qui nous permet d'apprécier "de l'intérieur", ce groupuscule pour le moins singulier qu'est (ou était) le FN.
Depuis la parution de l'ouvrage, beaucoup de choses ont changé : le président en place (Daniel Feret) a été évincé, son remplaçant (Michel Delacroix) également. Les deux font actuellement l'objet de poursuites judiciaires. Plusieurs cadres cités dans l'ouvrage (Charles Petitjean, Charles Pire, Patrick Cocriamont) ont créé deux nouvelles dissidences. Quant au "parti" en lui-même, il s'est pris une dégelée historique aux dernières élections.
Un vrais documentaire animalier alors. Bienvenu dans la fosse aux lions quoi!
Ca semble intéressant...
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